Interview Juliette Keohane Interview Kristell Penault
heading image

Interview Kristell Penault

Kristell Penault

Récompensée Meilleure Ouvrière de France, Kristell Penault est brodeuse-échantillonneuse aux Ateliers Montex et nous ouvre les coulisses de son métier d’art et d’artisanat dans l’univers de la Haute Couture française.

EN QUOI CONSISTE LE MÉTIER DE BRODEUSE - ÉCHANTILLONNEUSE DANS UN ATELIER DE BRODERIE ?

À partir d'un brief ou d'un thème, notre travail est d'imaginer les broderies des collections des grandes maisons de couture. Nous brodons en grandeur réelle, en proposant des motifs, techniques, gammes de couleur et fournitures: fils, paillettes, perles, etc.

POUVEZ-VOUS NOUS RÉVÉLER QUELQUES SECRETS DE L'UNIVERS DE LA BRODERIE D'ART ?

La direction artistique de l'atelier nous transmet les thèmes créatifs des clients. À partir de documents, d'images, parfois même juste d'un mot, nous travaillons individuellement pour proposer des idées de broderie. On connaît les maisons de couture, alors nous concevons en sachant ce qu'aiment les directions artistiques. On se demande également: "Qu'est-ce qui n'a pas déjà été fait ?" car bien sûr on recherche l'inédit, la nouveauté ! Par exemple, pour la collection "Dakar" de Chanel, on a proposé des broderies détournant des imprimés wax. Les idées fusent et doivent sortir très rapidement.
Ces échantillons sont transmis aux maisons. Elles sélectionnent ce qui leur plaît et imaginent à partir de ceux-ci les pièces de leur collection. Les broderies sélectionnées partent chez les dessinateurs, on travaille main dans la main pour réaliser la maquette contenant étape, légende, point d'attention - il peut y avoir jusqu'à 4 maquettes pour obtenir un rendu parfait. Enfin, le moindre détail est validé par la direction artistique avant de partir en production.

COMMENT EN ÊTES-VOUS VENUE À DEVENIR BRODEUSE PUIS ÉCHANTILLONNEUSE ?

Ma mère cousait et brodait à merveille, nous étions ses poupées. Rapidement, j'ai fait le choix de me spécialiser dans la couture avec un BEP puis un CAP Vêtement sur-mesure, mais la répétition m'ennuyait. Très attirée par la broderie, j'en tombe amoureuse durant un CAP puis j'entreprends une 2ème année d'apprentissage avec un BMA "Brevet des Métiers d'Art", le diplôme pour devenir échantillonneuse. On y apprend des techniques très variées mais surtout à être créative avec la broderie. Puis j'ai passé des concours et je suis rentrée dans l'atelier de Haute Couture de la maison Jean-Paul Gaultier... L'expérience, merveilleuse, dure 5 ans. Nous sommes 4 brodeuses indépendantes, directement en relation avec ce directeur artistique très créatif et exubérant. On m'incite à passer le concours de Meilleur Ouvrier de France...que j'obtiens ! À l'époque j'ai tout juste 25 ans, je suis la plus jeune à obtenir ce titre. Grâce à cela, alors que j'étais "simple" brodeuse, je gagne en légitimité et on m'offre l'opportunité d'être échantillonneuse au sein de l'Atelier Montex (NDLR - l'atelier de broderie appartient au pôle Métiers d'Art de la maison Chanel).

QUELLES DIFFÉRENCES Y A-T-IL ENTRE LE MÉTIER D'ÉCHANTILLONNEUSE ET CELUI DE BRODEUSE ?

La brodeuse reproduit en production la broderie imaginée et créée par l'échantillonneuse. Pour devenir échantillonneuse, c'est au bon vouloir des ateliers : ils décident ou non de donner sa chance à une brodeuse. Avant, il fallait forcément effectuer un BMA, à présent certaines échantillonneuses suivent un cursus en école d'Art, elles dessinent mais ne brodent pas. Les ateliers aiment s'ouvrir à d'autres univers que celui de la broderie pure.

QUELS SONT LES QUALITÉS ET LES TALENTS INDISPENSABLES POUR ÊTRE ÉCHANTILLONNEUSE ?

Avant toute chose, il faut une grande curiosité. On doit toujours être aux aguets pour capter les inspirations et être créative dans la manière de transposer l'idée ou l'image en broderie. Il faut alors se dépasser, effectuer beaucoup de recherches pour innover...
Il faut être ingénieuse également et pour cela rester ouverte, grâce à quoi les brodeuses en production trouvent souvent des techniques plus efficaces. L'humilité et la capacité d'autocritique sont d'une grande aide pour être au niveau de la qualité attendue par l' atelier. Et puis bien sûr, il faut être patiente car au démarrage, certains gestes sont difficiles à maîtriser, cela peut être frustrant, laborieux...Il faut parfois jusqu'à 10 ans pour maîtriser le métier.

DE QUELLE MANIÈRE EST-CE QU’UNE BRODEUSE TROUVE SON ÉPANOUISSEMENT ?

Voir l'aboutissement de son travail, alors que le cahier des charges était difficile ou ne nous parlait pas au début, apporte à la fin beaucoup de satisfaction. En broderie Haute Couture, ce qui est merveilleux, c'est qu'il n'y a presque pas de restrictions en termes de créativité. En revanche, la passion du métier peut aussi représenter un problème quand le travail passe avant notre vie personnelle. Car dans la mode, tout est toujours pour demain, on court perpétuellement, le rythme est très soutenu.
Alors de manière personnelle, c'est dans la transmission que je trouve le plus d’épanouissement. Depuis que j'ai passé mon CAP, j'ai toujours donné des cours à côté, proposé des stages de broderie et j'adore cela. En atelier, le travail des brodeuses n'est pas toujours valorisé et les conditions sont parfois dures, physiquement et moralement, alors qu'avec les élèves on est tout de suite récompensé. On voit qu'on rend les futures brodeuses heureuses et c'est notre reconnaissance !