Interview Inès Mesmar
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Interview Inès Mesmar

Inès Mesmar de la fabrique nomade

Ethnologue de formation, Inès Mesmar est la fondatrice de l’association La Fabrique Nomade qui œuvre à valoriser et favoriser l’insertion professionnelle des artisans d’art migrants réfugiés en France. Elle nous présente aujourd’hui son association.

QUELLE EST LA GENÈSE DE LA CRÉATION DE LA FABRIQUE NOMADE ?

C’est en 2015, à l’âge de 35 ans, que j’ai découvert des broderies dans le placard de ma mère, d'origine tunisienne. A son arrivée en France dans les années 60, elle a arrêté son métier, ne sachant pas vers qui se tourner. Elle est restée mère au foyer et ce savoir-faire, qui était comme un trésor caché, a été perdu. Quel gâchis ! J’ai alors ressenti une forte indignation par rapport à la place qu’elle aurait pu trouver si elle avait été accompagnée dans cette transition.

C'était à l'époque de la crise migratoire et en passant tous les jours devant les campements dans le 19e arrondissement, je me disais qu’il y avait sûrement parmi eux des artisans et que je pourrais les aider à préserver leurs savoir-faire. J’ai rencontré des artisans dans des centres d'hébergement et ils partageaient les mêmes freins que ma mère : absence de réseau, méconnaissance du marché. Ils sont poussés vers des métiers en tension, comme le ménage ou le BTP mais leurs parcours et leurs compétences ne sont absolument pas pris en considération et ne sont pas valorisés. Or, c’est nécessaire pour ces personnes mais aussi pour le pays qu’il y ait cette reconnaissance. C’est aussi un apport positif pour l’entreprise.

Donc le point de départ, c’est une histoire personnelle, l’histoire de ma mère.

QU’AVEZ-VOUS MIS EN PLACE POUR AIDER CES PERSONNES RÉFUGIÉES À VALORISER LEURS SAVOIR-FAIRE ?

Nous avons d’abord créé une formation certifiante d’une durée de 10 mois qui permet aux personnes réfugiées de bénéficier de cours de langue et de comprendre ce nouvel environnement économique et culturel français. Dans notre atelier d’insertion, nos apprentis travaillent main dans la main avec des designers français, à travers la collection Traits d’Union, qui est la preuve de leurs compétences et démontre que l’union et le partage sont créateurs de valeur et d’innovation.

Nous avons aussi ouvert un atelier de fabrication textile, également spécialisé dans la broderie et la bijouterie, qui permet aux apprentis de participer à la production de commandes réelles. Ils plongent alors dans une réalité concrète, avec son lot d’exigences en termes de qualité et de délais, ce qui est extrêmement formateur.

Notre 3e activité est la mise en relation entre entreprises qui recrutent et artisans prêts à intégrer le marché de l’emploi. C’est un échange de bons procédés : nous proposons la candidature d’un artisan à l’entreprise et accompagnons son intégration. Ce service payant nous permet à la fois de pérenniser notre projet sans dépendre entièrement des subventions et de répondre aux attentes des entreprises de l’artisanat qui peinent à recruter des personnes qualifiées.

COMMENT RÉUSSISSEZ-VOUS CE TRANSFERT DE SAVOIR-FAIRE ENTRE DES CULTURES PARFOIS SI DIFFÉRENTES ?

Les approches sont effectivement très différentes et les apprentis doivent apprendre une autre méthodologie. Souvent, ils travaillent sans patron et doivent donc apprendre les schémas techniques et la précision qui leur fait parfois défaut. C’est une manière tout à fait différente de penser le vêtement. Cela nécessite de sortir de leur zone de confort, c’est très exigeant, mais notre formation les prépare à intégrer ces nouvelles règles pour être opérationnels pour la suite de leur vie professionnelle.

QUELS SONT VOS PLUS GRANDS DÉFIS À L’HEURE ACTUELLE ?

C’est un gros challenge de trouver notre place sur le marché français en tant qu’atelier d’insertion, de nous faire connaître ! La difficulté pour nous est d’arriver à un équilibre financier car nos coûts de production sont supérieurs à ceux d’unités de production plus classiques, étant donné les besoins d’accompagnement, les temps plus longs pour la réalisation des pièces, les petites productions qui empêchent les économies d’échelle. C’est donc difficile pour nous d’être compétitif sur le marché, mais notre mission première est d’abord la valorisation des savoir-faire.

Notre autre défi est de nous déployer à présent dans toute la France et aussi dans d’autres pays afin d’opérer un transfert d’expertise à l’international (notamment en Italie et au Québec, en partenariat avec le Conseil des métiers d’Art).

QUELLE EST VOTRE PLUS GRANDE FIERTÉ AU QUOTIDIEN ?

C’est de sentir que nous valorisons les compétences qui arrivent sur notre territoire, que nous enrichissons notre société et soutenons son développement en considérant chaque personne dans ce qu’elle est et ce qu’elle sait faire.

Et concrètement, c’est la réussite de nos artisans ! Les voir évoluer est clairement ce qu’il y a de plus satisfaisant. Une graine a été semée et une fleur pousse. C’est magique ! Les jurys de fin de formation sont parfois très marquants. Ce sont parfois des personnes qui ne parlaient pas, qui avaient été blessées par la vie, et à l’issue de la formation, elles sont capables de soutenir leur projet en français, avec une belle confiance en eux. On les voit briller, c’est un débordement de bonheur !

Pour découvrir des portraits d’artisans, n’hésitez pas à aller sur lafabriquenomade.com !

Un grand merci à Inès pour cet échange !